Audition sur Sainte-Soline
Propos introductif de Marine Tondelier lors de son audition, en compagnie de Benoit Biteau, Claude Gruffat, David Cormand et Daniel Salmon, le jeudi 7 septembre à 15h30 devant la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale “sur la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023”
Monsieur Le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Je vous remercie de nous accueillir aujourd’hui pour être entendus, dans un cadre d’écoute et d’échange je le sais républicain, et je le souhaite serein, par votre commission d’enquête.
Nous vous avons écrit au début de l’été pour vous demander à être auditionnés, parce que le sujet de votre commission d’enquête nous tient particulièrement à cœur.
Nous avons, chez les écologistes, un attachement sincère, historique et constant à la non-violence, qui fait partie de nos fondamentaux. Chez Europe Ecologie – Les Verts notamment, nous avons toujours défendu l’idée que ce qui vient avec la violence n’aboutit à rien de positif. La non-violence est au coeur de nos valeurs et de nos modes d’action. Y compris la non-violence verbale, dans nos échanges entre nous et avec les autres.
Nous regrettons et condamnons donc toujours les violences, et nous l’avons notamment fait lors des évènements qui sont couverts par votre commission d’enquête. Mais pas seulement – et cette précision nous tient à coeur : nous avons une position très ferme et constante sur le sujet.
Nous espérons donc que le travail que vous menez permettra d’éclairer la représentation nationale et les Français. Une commission d’enquête nous semble être un outil adapté pour poser les faits, les objectiver, et avoir l’espace et le temps, loin du tumulte imposé par l’information en continu, de prendre le recul nécessaire à la manifestation de la vérité et aux débats indispensables pour comprendre ce qui s’est joué dans ces manifestations.
Cela étant dit, je me permettrai de vous faire une petite remarque préalable, que je m’en voudrais de ne pas formuler. J’espère que vous n’en prendrez pas ombrage.
Nous avons lu avec attention, au moment de son dépôt le 4 avril dernier, le texte de votre demande de commission d’enquête sur « la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes ». Nous avons également pris connaissance du rapport que la commission des lois a travaillé pour l’autoriser.
Deux inquiétudes nous sont venues à l’esprit, chez les écologistes, et nous tenions à vous en faire part.
À la lecture du titre même de la commission, tout d’abord, mais aussi dans l’aspect non transpartisant des signataires et dans les objectifs affichés par la résolution, on sent bien que la volonté n’est pas nécessairement de comprendre les dynamiques qui ont conduit à ces tristes événements. J’espère sincèrement que votre travail permettra de dépasser l’impression que laisse cette résolution, d’une commission d’enquête finalement très politique qui chercherait à utiliser ce bel outil de notre vie parlementaire pour faire avancer un agenda partisan, au détriment de la manifestation de la vérité.
Notre seconde inquiétude concerne le champ des violences traitées par votre commission.
Durant la période du 16 mars au 3 mai 2023, de nombreuses violences ont été commises contre des militants écologistes. Par exemple, le 27 mars une manifestation, non autorisée, a abouti à l’effraction par des dizaines de personnes du domicile de la Présidente de Sea Shepherd France. Deux jours avant, deux militants de la même association avaient été passés à tabac. Ce ne sont pas les seuls exemples. J’en tiens toute une série à votre disposition. Les violences envers les écologistes, attisées au plus haut de l’Etat – nous y reviendrons si vous le souhaitez – sont réelles et en recrudescence. A tel point que nous travaillons avec de nombreuses associations à la création d’un observatoire des violences faites aux écologistes, pour mieux les objectiver et accompagner leurs victimes.
Encore il y a 3 semaines, le maire d’une commune en Corrèze a défilé sur un char qui déployait une banderole sur laquelle était écrit “Mort aux écolos”. Un maire. Élu de la république. Appelant à la haine envers les écologistes. Qui s’en est ému dans la majorité ou dans le gouvernement ? Personne.
C’est aussi cela le continuum de violences en France et, en tant que Secrétaire nationale d’EELV, je tiens à saisir cette occasion pour alerter les parlementaires présents, qui sont a priori sensibles sur les questions de violences vu l’objet de votre commission d’enquête, que le sujet des violences à l’encontre des militants écologistes mérite à mon avis aussi votre attention.
Ces préalables étant posés, je vais vous présenter notre délégation du jour : elle est composée de trois députés européens : David Cormand, Benoît Biteau et Claude Gruffat, et d’un sénateur, Daniel Salmon. Notre point commun ? Nous avons vécu ensemble cette terrible journée du 25 mars à Sainte-Soline. Nous sommes venus solidairement répondre à vos questions car c’est comme cela que nous fonctionnons chez EELV.
Nous répondrons à toutes les questions que vous avez sur tout ce que nous avons vu ce jour là. Ce que nous avons dit avant, fait pendant, analysé depuis. En toute sincérité. En toute transparence. Et avec soulagement, même, je dirais, car il est important pour nous de concourir à l’établissement de la vérité sur cette séquence.
Notez par ailleurs que nous avons également été de toutes les manifestations retraites et pourrons donc également vous répondre sur le sujet.
Je vous ai écrit Monsieur le rapporteur, pour vous demander à ce que nous soyons auditionnés par votre commission, car c’est bien le rôle d’un parti politique que nous représentons ici aujourd’hui, de témoigner.
Ce qui s’est joué à Sainte Soline, la nature des violences, leur traitement médiatique, la bataille de la communication qui s’est politiquement jouée ensuite et la posture prise par le ministre de l’intérieur, et les diverses récupérations politiques qui s’en sont suivies, sont un fait politique majeur qui mérite l’attention de l’Assemblée nationale et des Français.
Vous le verrez dans nos témoignages : il reste encore beaucoup d’émotion. Inutile de faire semblant que ça n’est pas le cas, c’est impossible. Ces quelques heures d’une violence intense ont laissé des traces chez tous les participants, et beaucoup, y compris nous, avons vécu un sérieux traumatisme, ce qui a nécessité l’organisation,
y compris par notre mouvement à destination de nos adhérents présents, de séances de débriefing psychologique assez édifiantes.
Parmi les 30 000 manifestants présents ce jour-là, dont l’immense majorité sont des pacifistes convaincus et pratiquants, quelques-uns garderont des séquelles à vie.
Tous les 5, et les autres parlementaires présents ce jour-là, avons essuyé dans les semaines suivantes un flot de critiques non pas parce que nous aurions commis des violences – chacun sait que ça n’est pas le cas – mais pour le simple fait que nous ayons été sur place.
C’est donc pour nous, aussi, le moment d’expliquer pourquoi.
Evidemment, la raison première de notre présence à Saint Soline, vous la connaissez : ce sont les méga-bassines et leur absurdité économique et écologique. Pomper de l’eau de nappes phréatiques, qui sont désormais rarement pleines, pour la mettre à l’air libre où elle s’évapore, est une idée qui en dit long sur notre capacité à développer des solutions insensées pour faire perdurer un modèle agricole à bout de souffle. Tous les scientifiques le disent : le meilleur réservoir d’eau et qui a été conçu par la nature, c’est la nappe phréatique. Benoît Biteau qui est ici aujourd’hui, qui en plus d’être parlementaire européen est aussi exploitant agricole, est devenu un expert de ce sujet, nous pourrions vous en parler des heures, mais tel n’est pas le champ de cette commission. Nous étions d’ailleurs tous les deux présents à la précédente manifestation d’octobre 2022. Et lui, qui est un voisin de ces projets, n’en a d’ailleurs pas raté une seule depuis le début du dossier il y a des années.
Nous souhaitions donc venir pour mettre en lumière cette lutte contre l’absurde, contre l’accaparement par quelques uns d’une ressource commune. A partir du moment où la manifestation a été interdite, nous avons pris le temps d’échanger avec nos collègues.
Les choses sont très simples : il y avait à peu près 200 manifestants militants d’Europe Ecologie Les Verts qui nous avaient annoncé s’être organisés pour venir et nous confirmaient maintenir leur participation.
Compte tenu des risques qui étaient annoncés, c’était bien ma place que d’être à leurs côtés. C’est cela aussi, être cheffe de parti. Les parlementaires ici présents ont eu le même raisonnement et les mêmes inquiétudes sur ce qu’il se passerait sur place. Nous nous sommes dit que nous serions plus utiles à Sainte-Soline que chez nous devant notre télé.
Cela s’est confirmé le jour J. Nous nous sommes retrouvés à assister des blessés graves, en urgence vitale pour l’une d’entre eux, âgée d’à peine 19 ans, qui a pleuré pendant des heures, victime d’un tir tendu de grenade en pleine tête puis d’autres grenades une fois au sol, regroupée avec d’autres blessés que nous avons tenté de protéger en formant une chaîne humaine, des tirs de grenades lacrymogènes l’asphyxiant et la blessant. Cela restera une expérience qui marque à vie, douloureuse intimement et politiquement. Nous avons remué ciel et terre, appelé les services de la Première Ministre, échangé avec la préfète, avec les services de secours. Nous pouvions voir à quelques dizaines de mètres des ambulances mais pour des raisons que vous éclairerez peut-être, il a fallu attendre des heures pour que les blessés les plus graves soient pris en charge. Nous n’’oublierons jamais la peur, la souffrance, les pleurs, l’impuissance, et demandons que la lumière soit faite sur cela également. Vu le nombre de forces de l’ordre annoncées, il est incompréhensible que les secours n’aient pas été organisés en conséquence. C’est une faute lourde.
En tant que cheffe d’un parti politique, ce que je souhaite avant tout, et je terminerai là dessus, c’est que face à des événements aussi graves que ceux qui se sont déroulés et qui ont conduit à plusieurs dizaines de gendarmes blessés, certains gravement, auquel nous pensons également, et plusieurs centaines de manifestants blessés, dont certains qui ont été entre la vie et la mort pendant plusieurs semaines, nous puissions faire l’effort de l’objectivité et de sortir des querelles partisanes.
J’aimerais qu’un message soit retenu aujourd’hui : en tant que parti politique, nous sommes une force de médiation entre un mouvement social qui porte une colère légitime, que nous comprenons mieux que beaucoup, et les institutions. Toutes les institutions. Qui sont malheureusement encore trop inactives face aux immenses défis environnementaux qui se révèlent à nous jour après jour. C’est dans cet état d’esprit que j’ai rencontré la Première Ministre peu après Sainte-Soline. C’est dans cet état d’esprit que j’ai remis le sujet sur la table le 30 août dernier lors de ces fameuses 12 heures de réunions entre Emmanuel Macron et les chefs de parti à Saint-Denis.
Nous pensons que le Gouvernement fait une erreur de jugement significative en refusant de s’appuyer sur les corps intermédiaires pour mieux comprendre les attentes de la société et mener une action qui soit davantage partagée par nos concitoyens.
Les partis politiques, les syndicats, les militants du climat ne sont pas des forces de blocage mais des relais puissants. Les criminaliser, comme on l’a encore vu hier avec la garde à vue d’un patron d’une des plus grandes fédérations de la CGT, est inquiétante en ce qu’elle nie l’importance des syndicats pour mener le dialogue inclusif indispensable à une transformation positive de notre société.
D’une manière plus globale nous sommes très inquiets de voir que certains tombent dans la tentation de ne pas dialoguer avec des opposants mais de les criminaliser. Qualifier les militants écologistes d’éco terrorrisme, comme l’a fait le ministre de l’Intérieur, pourtant garant des libertés publiques et de la cohésion des institutions, sans aucun fondement juridique, ne fera pas disparaître le problème que pose le défi écologique.
Tenter de dissoudre les Soulèvements de la Terre sans fondement juridique sérieux ne fera jamais disparaître le problème que les Soulèvements portent. La décision du Conseil d’Etat de cet été suite à notre référé, même si elle est dans l’attente d’un jugement au fond, montre d’ailleurs, tous les juristes l’ont compris, que les atteintes aux libertés associatives prennent elles aussi une tournure inquiétante dans notre pays. Le Mouvement associatif, fédération les représentant, l’expliquerait mieux que moi, mais nous pouvons également échanger sur ce sujet aujourd’hui car nous sommes plusieurs ici à beaucoup le travailler.
Les partis politiques, les syndicats, les associations, ont une responsabilité de capter les mouvements de la société, pour les inscrire dans le champ démocratique. Il faut reconnaître cette fonction, et donc les protéger, au risque sinon d’un affaissement démocratique que nous redoutons tous.
Pour le dire autrement, en démocratie on dialogue, on convainc, on construit des accords ou on acte des désaccords, mais on ne criminalise pas ses opposants.
Nous devons aux Françaises et aux Français, de ne pas récupérer ces violences pour faire avancer un agenda politicien mais bien de prendre le recul nécessaire à l’établissement de la vérité et éclairer les mécanismes qui ont abouti à ces évènements.
Avec mes collègues, nous en ferons notre part en vous livrant notre témoignage aujourd’hui.
Cette audition ne suffira pas mais nous espérons qu’elle participera à élargir et ouvrir ce débat que nous sommes déterminés à mener jusqu’au bout.
Jeudi 7 septembre
Seul le prononcé fait foi
Pour retrouver l’intégralité de la séquence en vidéo : https://videos.assemblee-nationale.fr/video.13826806_64f9bc6dc934d.organisation-des-groupuscules-violents-en-manifestations–auditions-diverses-7-septembre-2023